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Louis et le trou ( Suite 2)

Rédigé le Lundi 20 Mars 2023 à 04:58 | Lu 28 fois modifié le Lundi 20 Mars 2023

Peut-être que le trou dans la vision du monde, tant qu’il n’est pas produit au moins une fois par le sujet lui-même, demeure celui de l’originaire qui apparaît, crevant tous les diaphragmes jusqu’au fond de l’oreille qui parle au lieu d’entendre, hallucine et persécute. Tant qu’une feuille n’est pas trouée n’est-elle qu’une pauvre feuille morte  à laquelle s’identifient parfois les enfants autistes ?
 
  • Dahlia, six ans, fascinée par la chute des feuilles mortes, reproduit, avec ses mains leurs mouvements spiraux, assise au pied de l’arbre dans une flaque d’eau.
 
  • Ce matin à la piscine, Dominique flotte, mais sans plaisir ; elle est comme une feuille morte.
 
La logique du sens, sa direction, la chaîne des mots ne s’énonce-t-elle qu’à partir d’un trou vital dans les feuilles du savoir de l’autre ? Peut-on émettre l’hypothèse selon laquelle s’alimentant à la source d’expériences corporelles inaugurales, structurées sur le mouvement actif-passif d’une gestuelle archaïque comme premier noyau organisateur, la symbolisation échouerait ici à cause d’une fixation à un seul pôle ? Selon cette hypothèse, le travail art-thérapeutique pourrait-il permettre une certaine mise en scène, une activation du pôle interdit : ici le pôle actif, libérant le sujet de l’enlisement passif d’une soumission fusionnelle ou de l’identification mortifère à l’objet filant sans résistance dans le tourbillon des toilettes ?
 
Chez un autre enfant autiste, Raphaël, nous observions au contraire une sur-stimulation de la pulsion sadique non contrebalancée par des phases de passivité. À l’égard de l’objet s’exprimait une violence destructrice ainsi qu’un hyper contrôle possessif. On entendait comme un interdit surmoïque cruel et sévère visant la passivité quand il se criait à lui-même : « Bouge-toi, feignasse ! » et sa mère ne cessait de valoriser ses performances musculaires, lui qui se présentait comme un pantin bariolé monté sur ressorts.  
 
Ces deux situations peuvent-elles illustrer le fait qu’un clivage entre érotisme anal et pulsions sadiques s’inscrit ici à partir d’un interdit violent posé sur l’un des deux versants, ce qui conduit le sujet à une situation psychique de tout dehors ou de tout dedans, sans possibilité de négociation symboligène entre deux topiques de l’objet psychique ?
 
Face à sa feuille qui semblait faire plafond de verre, Luis, adossé au thérapeute qui en a soutenu la possibilité, a commis comme une attaque, une percée et sa traversée peut-elle inaugurer par le biais d’un violent trouage de l’objet feuille, un passage de l’objectif à l’objectal sans lequel toute chaîne langagière se replie sur elle-même ?  
 
La violence que l’on cherche à traiter chez le sujet autiste à l’aide de médicaments ou de machines électroniques n’est-elle pas pour lui comme une tentative de trouer avec les moyens du bord la compacité d’un discours délirant sans écarts qu’il subit, et ce par mesure de survie psychique ? La violence que l’on perçoit comme signe de la folie n’est-elle pas la seule réponse possible d’un sujet pris dans les rets d’un discours désubjectivant qui l’exclut, mais qui passe inaperçu dans la mesure où il peut se nicher dans un semblant de raison ? Il ne s’agit évidemment que d’hypothèses et la clinique du quotidien nous tient à l’abri des grands discours généralistes au sujet de la violence des enfants autistes, au moins le temps que l’on écoute ce qu’est la violence privée de celui que l’on rencontre.