C’est un écart vital qui nous intéresse en art-thérapie contemporaine car il est effectivement creuset de poésie lorsqu’il n’est pas réduit par le discours d’un autre supposé savant.
Le caractère éphémère du jeu avec les éléments, sa version subversive, tout en s’inscrivant comme un écart structurant, se montre capable d’introduire de nouveaux espaces intervallaires comme condition nécessaire à la structuration d’un échange contenant la reconnaissance de l’altérité. Il ne s’agit donc pas de produire des objets obturants comme autant d’emplâtres, de ces pansements que l’on expose, mais bien, au contraire, de tenter de faire avec l’écart, d’en faire l’expérience éphémère, d’ouvrir cet écart vital entre notre manque fondamental et nous-mêmes.
Ce que le demandeur cherche chez nous, une nouvelle fois, doit de manière éthique, rester perdu, impossible à trouver là dans cet espace de jeu, car en réalité il est comme nous tous, confronté à la quête, ce mal merveilleux comme à une certaine inquiétude à connotation mélancolique, mais qui fait de nous de complexes et simples humains tant que l’on ne nous le reproche pas.
L’objet pour demeurer cherché doit être introuvable en séance. L’espace art-thérapeutique n’a pas à laisser croire qu’il est le contenant idéal de l’objet perdu du fait de la structure langagière et c’est d’ailleurs ce deuil narcissique qui s’avère parfois difficile à assumer pour un art-thérapeute s’identifiant de manière plus ou moins consciente au héros de la réparation. En art-thérapie, on ne répare pas, mais ça repart !
Ouvrir un nouvel espace en jouant de compositions éphémères, ouvrir un véritable espace intervallaire colmaté par la production ou par le discours dominant semble donc plus approprié que le fait de l’obstruer. Certains créateurs en ont fait l’expérience et c’est cette expérience qui nous motive sachant qu’elle demande que nous nous mettions au travail et que nous affinions nos dispositifs art-thérapeutiques. L’essentiel est pour nous de respecter cet espace de l’ouvert, disons son évocation. L’objet visé ne doit être qu’esquissé durant les séances pour éviter les risques que comporte sa clôture traditionnelle en tant qu’objet concret. Il a tout à gagner à se limiter aux invocations comme aux évocations éphémères qui privilégient l’énoncé au lieu de surestimer le prononcé. Cet « à peine énoncé » pourra dans le meilleur des cas se dire ailleurs. Il ne doit pas se prononcer ici, mais plutôt là où le sujet pourra enfin prendre sa parole en main pour se dire en son nom propre en dehors du périmètre transférentiel des séances. C’est bien d’esquisse qu’il s’agit et non de produit fini.
Si l’on en croit Nietzsche, toute ébauche, toute expérience de l’éphémère est susceptible de conduire le demandeur :
« … excité à continuer ce qui fait saillie devant ses yeux en lumière et ombre si forte, à achever la pensée, et à triompher lui-même de cet obstacle qui jusqu’alors s’opposait au dégagement complet de l’idée. ». [1] Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, Paris, Hachette, 1988, p. 145.
En tant que concrétude fermée l’objet produit court le risque dans le champ de l’art-thérapie qui n’est pas celui de la création artistique de se coaguler sous la forme d’un raccourcissement qui peut empêcher que le travail psychique soit conduit à son terme et de se mouler en une créature plus ou moins gratifiante figeant le parcours transférentiel.
Le souci de travailler avec l’éphémère tient au fait qu’une production d’objet programmée n’a rien à voir avec la rencontre énigmatique avec cet éclat du fragment surgissant de l’intensité d’un instant : le Kaïros.
Tout l’art de l’art-thérapeute consiste à inviter cet instant opportun, le Kaïros en se refusant de l’empaqueter dans une épaisse production. Se laisser partir à l’aventure d’instants éphémères, c’est enfin savoir attendre, suspendre et tâtonner.
Seuls ces tâtonnements dialogués de la vie peuvent ouvrir à la rencontre toujours surprenante avec cet éclat du désir qui ne cesse de nous conduire. L’art-thérapie contemporaine ne peut promettre autre chose sous peine d’incarner le fournisseur totalitaire de recettes de bien-être.
La réalité d’une art-thérapie bien conduite est qu’aucune image ni aucun objet concret n’est susceptible de représenter le manque. Il n’y a pas d’image ni d’objectivation possible du manque. Seul l’éclat furtif en son évanouissement peut en devenir l’aveu. Combler ce manque en ne cessant de produire des adhésifs, c’est courir le risque de conduire le sujet à vivre une forme de mélancolie douce au nom d’une adaptation réussie à l’ambition d’un professionnel ou d’une institution.
En art-thérapie, quand le supposé bel objet souvent conforme aux limites du goût du professionnel ou de son institution est préféré à son esquisse, le doute finit par s’éteindre et quand le doute s’éteint se trouve mobilisée la douce violence des élans paranoïdes. L’objet dont il est question est cet obscur objet du désir, celui dont le sujet s’est rapproché et qui a suscité chez lui cette poussée d’angoisse qu’il a interprétée comme une frustration, une sensation de manque qu’il vient tenter de combler en produisant des objets-rustines.
Toute la difficulté de l’art-thérapeute tient à ne pas prendre cette frustration, cette demande de colmatage, au pied de la lettre, mais, bien au contraire, à lui permettre de s’élargir progressivement, et ce, avec tout le tact qu’il faut pour que le sujet qui lui adresse sa demande finisse par trouver goût à l’aventure désirante que suppose ce manque à être.
La barre du trait d’union entre art et thérapie vient dire que la production artistique que suppose le signifiant art est ailleurs, à la sortie et non pas dans le dedans des séances. Ici, au présent, il est simplement esquissé. C’est le signe de l’évocation qui est installé à la place de la production. Le manque inscrit de chaque côté du trait d’union est le symbole même de l’éphémère, il est fondamental, car ce qui est visé est un véritable travail psychique d’élaboration poétique. Il est clair que seule la symbolisation poétique de l’absence et du manque est capable de produire un sens supportable. Or l’art-thérapie s’est laissée conduire vers une logique de production, vers la réalisation et va même parfois jusqu’à s’inscrire dans une forme de marchandisation au lieu de prendre le terme : « réaliser » en son sens le plus fort. Réaliser ne peut prendre son sens que dans l’espace intervallaire maintenu ouvert d’une question non saturée par la concrétude quand ce n’est pas celui d’une mise sur le marché.
Ce qui se passe au sein des ateliers de production comporte certes des effets thérapeutiques et peut apporter, nous le savons, du soulagement, comme un certain bien-être, mais le problème est que ce type d’atelier n’est pas articulé à un véritable processus thérapeutique, car, au fond, il garde en son sein la solution, ce qui implique que le sujet ne cesse de le fréquenter ou de l’idéaliser comme il idéalise l’animateur en tant que référence. Combien de photos d’atelier d’art-thérapie y compris émanant de services hospitaliers ressemblent dans la presse à ces photos de classe où le maître se tient aux côtés des apprenants. C’est ce que l’on voit encore dans certaines institutions hospitalières ou privées où ce que l’on appelle l’atelier d’art-thérapie continue à s’enfermer dans un modèle d’atelier de production et ne constitue pas un véritable espace thérapeutique. Plus le concept d’atelier est appuyé, plus le lieu se confond avec celui d’un atelier d’artiste ou d’artisan, moins il s’inscrit dans un processus thérapeutique qui suppose un début, un corps, mais aussi et surtout une fin.
Se former à l'art-thérapie contemporaine : en savoir plus.
Le caractère éphémère du jeu avec les éléments, sa version subversive, tout en s’inscrivant comme un écart structurant, se montre capable d’introduire de nouveaux espaces intervallaires comme condition nécessaire à la structuration d’un échange contenant la reconnaissance de l’altérité. Il ne s’agit donc pas de produire des objets obturants comme autant d’emplâtres, de ces pansements que l’on expose, mais bien, au contraire, de tenter de faire avec l’écart, d’en faire l’expérience éphémère, d’ouvrir cet écart vital entre notre manque fondamental et nous-mêmes.
Ce que le demandeur cherche chez nous, une nouvelle fois, doit de manière éthique, rester perdu, impossible à trouver là dans cet espace de jeu, car en réalité il est comme nous tous, confronté à la quête, ce mal merveilleux comme à une certaine inquiétude à connotation mélancolique, mais qui fait de nous de complexes et simples humains tant que l’on ne nous le reproche pas.
L’objet pour demeurer cherché doit être introuvable en séance. L’espace art-thérapeutique n’a pas à laisser croire qu’il est le contenant idéal de l’objet perdu du fait de la structure langagière et c’est d’ailleurs ce deuil narcissique qui s’avère parfois difficile à assumer pour un art-thérapeute s’identifiant de manière plus ou moins consciente au héros de la réparation. En art-thérapie, on ne répare pas, mais ça repart !
Ouvrir un nouvel espace en jouant de compositions éphémères, ouvrir un véritable espace intervallaire colmaté par la production ou par le discours dominant semble donc plus approprié que le fait de l’obstruer. Certains créateurs en ont fait l’expérience et c’est cette expérience qui nous motive sachant qu’elle demande que nous nous mettions au travail et que nous affinions nos dispositifs art-thérapeutiques. L’essentiel est pour nous de respecter cet espace de l’ouvert, disons son évocation. L’objet visé ne doit être qu’esquissé durant les séances pour éviter les risques que comporte sa clôture traditionnelle en tant qu’objet concret. Il a tout à gagner à se limiter aux invocations comme aux évocations éphémères qui privilégient l’énoncé au lieu de surestimer le prononcé. Cet « à peine énoncé » pourra dans le meilleur des cas se dire ailleurs. Il ne doit pas se prononcer ici, mais plutôt là où le sujet pourra enfin prendre sa parole en main pour se dire en son nom propre en dehors du périmètre transférentiel des séances. C’est bien d’esquisse qu’il s’agit et non de produit fini.
Si l’on en croit Nietzsche, toute ébauche, toute expérience de l’éphémère est susceptible de conduire le demandeur :
« … excité à continuer ce qui fait saillie devant ses yeux en lumière et ombre si forte, à achever la pensée, et à triompher lui-même de cet obstacle qui jusqu’alors s’opposait au dégagement complet de l’idée. ». [1] Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, Paris, Hachette, 1988, p. 145.
En tant que concrétude fermée l’objet produit court le risque dans le champ de l’art-thérapie qui n’est pas celui de la création artistique de se coaguler sous la forme d’un raccourcissement qui peut empêcher que le travail psychique soit conduit à son terme et de se mouler en une créature plus ou moins gratifiante figeant le parcours transférentiel.
Le souci de travailler avec l’éphémère tient au fait qu’une production d’objet programmée n’a rien à voir avec la rencontre énigmatique avec cet éclat du fragment surgissant de l’intensité d’un instant : le Kaïros.
Tout l’art de l’art-thérapeute consiste à inviter cet instant opportun, le Kaïros en se refusant de l’empaqueter dans une épaisse production. Se laisser partir à l’aventure d’instants éphémères, c’est enfin savoir attendre, suspendre et tâtonner.
Seuls ces tâtonnements dialogués de la vie peuvent ouvrir à la rencontre toujours surprenante avec cet éclat du désir qui ne cesse de nous conduire. L’art-thérapie contemporaine ne peut promettre autre chose sous peine d’incarner le fournisseur totalitaire de recettes de bien-être.
La réalité d’une art-thérapie bien conduite est qu’aucune image ni aucun objet concret n’est susceptible de représenter le manque. Il n’y a pas d’image ni d’objectivation possible du manque. Seul l’éclat furtif en son évanouissement peut en devenir l’aveu. Combler ce manque en ne cessant de produire des adhésifs, c’est courir le risque de conduire le sujet à vivre une forme de mélancolie douce au nom d’une adaptation réussie à l’ambition d’un professionnel ou d’une institution.
En art-thérapie, quand le supposé bel objet souvent conforme aux limites du goût du professionnel ou de son institution est préféré à son esquisse, le doute finit par s’éteindre et quand le doute s’éteint se trouve mobilisée la douce violence des élans paranoïdes. L’objet dont il est question est cet obscur objet du désir, celui dont le sujet s’est rapproché et qui a suscité chez lui cette poussée d’angoisse qu’il a interprétée comme une frustration, une sensation de manque qu’il vient tenter de combler en produisant des objets-rustines.
Toute la difficulté de l’art-thérapeute tient à ne pas prendre cette frustration, cette demande de colmatage, au pied de la lettre, mais, bien au contraire, à lui permettre de s’élargir progressivement, et ce, avec tout le tact qu’il faut pour que le sujet qui lui adresse sa demande finisse par trouver goût à l’aventure désirante que suppose ce manque à être.
La barre du trait d’union entre art et thérapie vient dire que la production artistique que suppose le signifiant art est ailleurs, à la sortie et non pas dans le dedans des séances. Ici, au présent, il est simplement esquissé. C’est le signe de l’évocation qui est installé à la place de la production. Le manque inscrit de chaque côté du trait d’union est le symbole même de l’éphémère, il est fondamental, car ce qui est visé est un véritable travail psychique d’élaboration poétique. Il est clair que seule la symbolisation poétique de l’absence et du manque est capable de produire un sens supportable. Or l’art-thérapie s’est laissée conduire vers une logique de production, vers la réalisation et va même parfois jusqu’à s’inscrire dans une forme de marchandisation au lieu de prendre le terme : « réaliser » en son sens le plus fort. Réaliser ne peut prendre son sens que dans l’espace intervallaire maintenu ouvert d’une question non saturée par la concrétude quand ce n’est pas celui d’une mise sur le marché.
Ce qui se passe au sein des ateliers de production comporte certes des effets thérapeutiques et peut apporter, nous le savons, du soulagement, comme un certain bien-être, mais le problème est que ce type d’atelier n’est pas articulé à un véritable processus thérapeutique, car, au fond, il garde en son sein la solution, ce qui implique que le sujet ne cesse de le fréquenter ou de l’idéaliser comme il idéalise l’animateur en tant que référence. Combien de photos d’atelier d’art-thérapie y compris émanant de services hospitaliers ressemblent dans la presse à ces photos de classe où le maître se tient aux côtés des apprenants. C’est ce que l’on voit encore dans certaines institutions hospitalières ou privées où ce que l’on appelle l’atelier d’art-thérapie continue à s’enfermer dans un modèle d’atelier de production et ne constitue pas un véritable espace thérapeutique. Plus le concept d’atelier est appuyé, plus le lieu se confond avec celui d’un atelier d’artiste ou d’artisan, moins il s’inscrit dans un processus thérapeutique qui suppose un début, un corps, mais aussi et surtout une fin.
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