PAR LE TROU DE LA FEUILLE
Jean-Pierre Royol,
psychologue.
La violence de l’autiste interroge, surtout celle de ceux qui ne brillent que par leur absence à l’ombre d’institutions en forme de masques de la crudité, loin des génies médiatiques. Cette violence rend-elle fou quand on sait qu’une équipe de chercheurs travaille sur la création d’un appareil qui repère l’excitation physiologique mesurée par la sueur : une machine semblable à une montre connectée capable, dit-on, de prédire les changements de comportement de l’autiste que l’on dit « sévère » ? La rencontre avec un enfant autiste convoque à plus de pierres d’attente que de réponses, mais doit-on s’en plaindre quand on étudie de près les solutions proposées ?
Luis souvent replié sur lui-même en position fœtale s’autorise quelques productions picturales d’allure ovoïde contenant, en leur sein, le tourbillon coloré d’un court-circuit pulsionnel. On peut observer qu’elles se présentent, au premier abord, comme autant d’empreintes de sa structure psychique autoconservatrice vierge de toute percée désirante. Le discours institutionnel au sein duquel le diagnostic d’autiste s’énonce comme équivalent du sujet lui-même vient renforcer cette sensation d’étrange fixité.
Alors qu’il jette habituellement des feuilles en hurlant « pas beau ! », Luis décide de m’en tendre une, toute barbouillée, qui montre, en son centre, un énorme trou produit avec violence. Il me fait tenir avec lui sa feuille et, face à ce trou, il est pris d’une agitation fébrile, comme à demi conscient. Vu la durée de cette sorte de transe et la sérénité qui suit cette décharge, on dirait qu’un affect lié à un trauma vient d’être dépassé. Qu’il troue violemment lui-même cette feuille lui a-t-il permis un gain de maîtrise face à la chose qu’il subissait ? Le maintien du regard en position centrale et fixe a-t-il provoqué des effets hypnogènes ? Luis va prononcer pour la première fois d’autres mots que « pas beau ! ». Une éducatrice dira : « Cette voix, c’est comme si elle était toute neuve ». Des représentations inconscientes sont-elles liées à ce trou ? Et ses mots tentent-ils d’objectiver l’événement traumatique ? Les trois mots qu’il prononce quelques jours plus tard : « mon, souris, mal, » vont inaugurer le défilé d’une nouvelle chaîne associative : la sienne, en son nom propre qui est bien autre chose qu’une parole forcée par une méthode comportementaliste et que le sujet répète comme un perroquet pour le plaisir de celui qui la lui impose.
Si la première expression : « Pas beau ! » peut être entendue comme réponse adaptée conforme au contexte thérapeutique, une écoute plus attentive permet de percevoir son mode d’expression stéréotypé prévenant toute sortie possible et constituant l’armature ovale de sa production qui semble témoigner d’une forme d’homéostasie impénétrable. Le fait qu’il reste silencieux face aux différents propos rassurants contestant l’expression : « pas beau ! » montre qu’il s’agit d’une injonction surmoïque hallucinée qui ne souffre aucun commentaire.
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Jean-Pierre Royol,
psychologue.
La violence de l’autiste interroge, surtout celle de ceux qui ne brillent que par leur absence à l’ombre d’institutions en forme de masques de la crudité, loin des génies médiatiques. Cette violence rend-elle fou quand on sait qu’une équipe de chercheurs travaille sur la création d’un appareil qui repère l’excitation physiologique mesurée par la sueur : une machine semblable à une montre connectée capable, dit-on, de prédire les changements de comportement de l’autiste que l’on dit « sévère » ? La rencontre avec un enfant autiste convoque à plus de pierres d’attente que de réponses, mais doit-on s’en plaindre quand on étudie de près les solutions proposées ?
Luis souvent replié sur lui-même en position fœtale s’autorise quelques productions picturales d’allure ovoïde contenant, en leur sein, le tourbillon coloré d’un court-circuit pulsionnel. On peut observer qu’elles se présentent, au premier abord, comme autant d’empreintes de sa structure psychique autoconservatrice vierge de toute percée désirante. Le discours institutionnel au sein duquel le diagnostic d’autiste s’énonce comme équivalent du sujet lui-même vient renforcer cette sensation d’étrange fixité.
Alors qu’il jette habituellement des feuilles en hurlant « pas beau ! », Luis décide de m’en tendre une, toute barbouillée, qui montre, en son centre, un énorme trou produit avec violence. Il me fait tenir avec lui sa feuille et, face à ce trou, il est pris d’une agitation fébrile, comme à demi conscient. Vu la durée de cette sorte de transe et la sérénité qui suit cette décharge, on dirait qu’un affect lié à un trauma vient d’être dépassé. Qu’il troue violemment lui-même cette feuille lui a-t-il permis un gain de maîtrise face à la chose qu’il subissait ? Le maintien du regard en position centrale et fixe a-t-il provoqué des effets hypnogènes ? Luis va prononcer pour la première fois d’autres mots que « pas beau ! ». Une éducatrice dira : « Cette voix, c’est comme si elle était toute neuve ». Des représentations inconscientes sont-elles liées à ce trou ? Et ses mots tentent-ils d’objectiver l’événement traumatique ? Les trois mots qu’il prononce quelques jours plus tard : « mon, souris, mal, » vont inaugurer le défilé d’une nouvelle chaîne associative : la sienne, en son nom propre qui est bien autre chose qu’une parole forcée par une méthode comportementaliste et que le sujet répète comme un perroquet pour le plaisir de celui qui la lui impose.
Si la première expression : « Pas beau ! » peut être entendue comme réponse adaptée conforme au contexte thérapeutique, une écoute plus attentive permet de percevoir son mode d’expression stéréotypé prévenant toute sortie possible et constituant l’armature ovale de sa production qui semble témoigner d’une forme d’homéostasie impénétrable. Le fait qu’il reste silencieux face aux différents propos rassurants contestant l’expression : « pas beau ! » montre qu’il s’agit d’une injonction surmoïque hallucinée qui ne souffre aucun commentaire.
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